Méditations métaphysiques de Descartes

12 mars, 2006

Dans la littérature philosophique, Descartes (1596–1650) est généralement considéré comme le premier philosophe moderne. Dans ce court texte, nous pourrons entrevoir pourquoi il est considéré comme tel, et cela, malgré le fait qu’il soit aussi en continuité avec la tradition philosophique antique et médiévale. Cette continuité est très bien illustrée dans sa métaphore de l’arbre. En effet, selon lui, la connaissance est conçue comme un arbre dont les racines seraient la métaphysique, le tronc la physique et le reste les autres sciences. Ainsi, le fondement de la connaissance reste toujours la métaphysique et c’est en ce sens que Descartes reste en continuité avec ces prédécesseurs tels que Platon, Aristote ou Saint-Thomas-d'Aquin. Mais en dépit de cela, nous verrons dans ce résumé des ses cinq premières Méditations Métaphysiques que Descartes rompt aussi avec la tradition philosophique. En effet, dans ces méditations, il se donne pour tâche de fonder de nouveau toute la connaissance sur une nouvelle base, car dit-il, au tout début de cet ouvrage, « Il y a quelque temps déjà que je me suis aperçu que dès mes premières années, j’avais reçu quantité de fausses opinions pour véritables » et que pour cela, il lui fallait « tout commencer de nouveau depuis les fondements ». C’est à partir de cela qu’est orientée toute sa réflexion dans les Méditations Métaphysiques et l’objet de ce travail est d’en résumer et d’en comprendre le sens.

MÉDITATION PREMIÈRE
Comme nous l’avons dit dans l’introduction, Descartes s’est aperçu que depuis sa jeunesse, il avait pris pour vrai une quantité de choses qui en réalité ne l’était pas. C’est cela qui l’amène à vouloir redéfinir les fondements de la connaissance. Pour ce faire, il veut détruire ses « anciennes » connaissances. Il nous dit alors que l’apprentissage de ces dernières a été fait par les sens et que par conséquence, ceux-ci peuvent être trompeurs. Pourtant, se dit-il, en ce qui concerne « la nature corporelle en général et son étendue », il est vraiment difficile de dire que cela n’est pas vrai. Mais attention! Selon lui, il peut très bien y avoir un « Dieu trompeur » ou un « mauvais génie » qui fait en sorte que je me trompe toutes les fois que je pense à ces choses. Conséquemment, il n’y a plus rien au monde dont il ne peut désormais douter et ce, autant d+ans la sphère du sensible que dans celle de la raison. C’est ce les philosophes appellent le doute métaphysique[1]. C’est ainsi que pour Descartes, il est impératif de suspendre son jugement afin d’être bien certain de ne plus se faire berner. De cette manière, « il ne peut y avoir de péril ni d’erreur dans cette voie » où le monde ne serait qu’illusion et tromperie, car « il [le mauvais génie] ne pourra jamais rien [m’] imposer ».

MÉDITATION SECONDE
Après avoir systématiquement tout remis en doute dans la première méditation, Descartes nous rappelle dans la deuxième méditation que malgré le fait qu’il peut y avoir un « mauvais génie » ou un « Dieu trompeur » qui veut le tromper, cela importe peut, car « qu’il le trompe tant qu’il voudra, il ne saurait jamais faire qu’il ne soit rien, tant qu’il pensera être quelque chose ». Descartes établit donc sa première certitude : « Je suis, j’existe »[2]. Et, il ajoute que toutes les fois qu’il le prononce, « cela est nécessairement vrai ».

Il poursuit sa réflexion comme suit : « Qui suis-je, un homme, mais qu’est-ce qu’un homme? ». Évidemment, il considère la réponse classique dont l’essence de l’homme est d’être une âme. Mais, il poursuit en se demandant : « Qu’est-ce qu’une âme? ». C’est alors que Descartes donne une réponse fort différente de ses prédécesseurs; il assimile l’âme à l’esprit plutôt qu’à un principe moteur ou sensitif. De ce fait, il élimine les attributs de l’âme qui supposent le corps et par conséquent, il affirme que l’homme est une « chose qui pense » plutôt qu’une âme étendue (qui est dans l’espace). Et, il conclu cette méditation réaffirmant son « Je suis, j’existe » sur lequel il basera la méditation suivante.

MÉDITATION TROISIÈME
Comme nous l’avons vu dans la méditation précédente, Descartes est désormais entièrement sûr d’une chose : « il pense, il existe », c’est la première certitude. À partir de cela, il se pose la question suivante : « puis-je me fier à ma pensée? ». En d’autres mots, « existe-t-il une idée telle que son objet s’impose à ma pensée et qui me donne la certitude qu’il existe quelque chose en dehors de moi? ». Car, dit-il, le fait d’exister ne le renseigne en rien sur ce qu’il peut y avoir à l’extérieur de lui. Il expérimente ainsi la possibilité d’être seul au monde. Par conséquent, il met en suspens toutes formes de connaissances objectives à l’extérieur de lui-même. Toutefois, la pensée le ramène toujours à l’extérieur de lui-même, car ses idées sont pour la plupart des renvois aux choses extérieures. C’est donc à l’aide de ses considérations qu’il va analyser les idées de la pensée afin d’y découvrir si elles ne seraient pas la manifestation de quelque chose à l’extérieur de lui-même. C’est donc cette recherche qui amène Descartes à se questionner non seulement sur l’existence de choses extérieures à lui, mais sur la possibilité de l’existence d’un autre être que le sien et qui pourrait être la cause de ses idées. Ainsi, il énonce le fait que, de toute manière, la seule et unique manière dont il peut être certain de quelque chose, « c’est d’examiner s’il y a un Dieu, sitôt que l'occasion s'en présentera » et s'il trouve qu'il y en a un, il doit aussi « examiner s'il peut être trompeur ».

Ainsi, pour clarifier sa pensée, il la divise en deux genres, d’une part les « idées » telles qu’elles sont, comme Dieu, les hommes ou même les tartes aux pommes et d’autre part les choses qu’il conçoit comme le sujet de l’action de son esprit tel que la crainte, l’affirmation ou la négation. Ces dernières, il les sépare de nouveau en deux parties, d’un côté les volontés et de l’autre les jugements. Relativement à cela, il affirme qu’en ce qui concerne les idées, il ne peut y avoir d’erreur, car s’il imagine « une chèvre ou une chimère, il n’est pas moins vrai [qu’il] imagine l’une que l’autre ». En ce qui a trait aux volontés, il en est de même, car peu importe ce qu’il désire, il le désire pour le vrai. Ainsi, pour Descartes, « la principale erreur » se situe donc dans le fait qu’il juge que les idées qui sont en lui sont semblables à des choses qui sont en dehors de lui. Il est donc apparemment dans une impasse pour trouver quelque chose d’extérieur à lui-même, car son jugement peut toujours le tromper là-dessus.

Néanmoins, il poursuit en affirmant qu’il y a une autre façon de trouver s’il y a parmi ses idées quelque chose qui existe vraiment en dehors de lui. il faut alors reconnaître que si ces idées ne sont que des manières de penser (forme de l’idée), il n’y a pas de différence entre elles, mais que si elles sont considérées comme des images représentant différentes choses (contenu de l’idée), elles sont alors différentes. En ce sens, il nous dit que le contenu de l’idée d’une substance étendu (ex. roche) correspond à une plus grande réalité dans son existence que la réalité des modes de cette substance (ex. chaleur de la roche). Par conséquent, Descartes distingue le fait que l’on peut se représenter les idées selon deux réalités différentes : la « réalité objective » et la « la réalité formelle »[3] qui sont respectivement la représentation de l’idée (contenu de l’idée) et son actualité existentielle (forme de l’idée).

Descartes poursuit en établissant le principe de causalité suivant : il doit y avoir dans la cause de toutes choses (même des idées), autant de réalité formelle que de réalité objective. En d’autres mots, il doit avoir dans la cause d’une chose autant d’« actualité existentielle » que ce qu’elle « représente », car dit-il « si nous supposons qu'il se trouve quelque chose dans l'idée, qui ne se rencontre pas dans sa cause, il faut donc qu'elle tienne cela du néant »[4]. Mais attention, pour lui, cela ne s’applique qu’aux idées claires et distinctes dans son esprit; sinon, celles-ci pourraient très bien provenir d’un faux jugement du fait qu’elles sont nécessairement produites par lui-même. En ce qui concerne les idées distinctes que j’ai des choses étendues, elles aussi peuvent être fausses, car elles ne peuvent pas exister par elle-même. Au bout du compte, il ne reste qu’à Descartes l’idée de Dieu à considérer pour savoir s’il y a quelque chose en dehors de lui. Pour ce faire, il fait le raisonnement suivant : j’ai en moi l’idée d’un Dieu Infini, or lui seul possède cette réalité formelle (actualité existentielle) de l’infini, donc il existe; car à cette idée d’un Dieu infini s’applique toujours le principe de causalité énoncé plus haut. Voilà donc, pour Descartes, la deuxième certitude : « De Dieu, qu’il existe ».

Ensuite, Descartes ira d’une considération à une autre pour aboutir finalement à une seconde preuve, dite « ontologique », de l’existence de Dieu. Elle s’énonce comme suit : « l'existence de Dieu consiste en ce que je reconnais, qu'il ne serait pas possible que ma nature fût telle qu'elle est, c'est-à-dire que j'eusse en moi l'idée d'un Dieu, si Dieu n'existait véritablement ». En définitive, pour atteindre l’objectif de cette méditation, il ne lui (Descartes) reste qu’à savoir si « Dieu est trompeur ». Là-dessus, il conclut en disant qu’un Dieu infiniment parfait ne peut pas être trompeur, « puisque la lumière naturelle nous enseigne que la tromperie dépend nécessairement de quelque défaut ».

MÉDITATION QUATRIÈME
Dès le début de la quatrième méditation, Descartes reprend la preuve ontologique de l’existence de Dieu et il réitère le fait qu’un Dieu parfait, de sa perfection, ne peut pas être trompeur. C’est donc sur cette base de l’existence de Dieu et de sa véracité que Descartes entreprend cette méditation dont le seul but est de discriminer le vrai du faux. Pour arriver à cela, il nous entretient une fois de plus sur la source de l’erreur et pour la même raison que dans la Méditation Troisième, il réaffirme le fait que la cause de celle-ci est due non pas à sa volonté qui, selon lui, est sans limites, mais plutôt à son entendement qu’il juge limité. De plus, il considère que sa volonté est équivalente à la liberté, c’est pourquoi pour lui, la liberté existe. Mais, elle n’est pas nécessairement infinie, car elle n’entraîne pas automatiquement le fait qu’un être pensant doive obligatoirement trancher d’une manière ou d’une autre par rapport à une contrainte quelconque. Cependant, il ajoute que si cet être choisit le bien, il tend alors vers une plus grande liberté et que de plus, s’il accédait à la vraie connaissance, il serait en mesure de toujours choisir le bien et par le fait même, il parviendrait à la plénitude de la liberté. Ainsi, pour Descartes, il apparaît très important de faire bon usage de sa liberté. Car, selon lui, c’est en affirmant des choses ni claire ni distincte qu’il continue à perpétuer ses erreurs. De plus, il ajoute, que ces dernières proviennent uniquement de l’inadéquation entre son entendement qui est fini et de sa volonté qui est infinie. Et d’ailleurs, toujours selon lui, c’est à cause de cette volonté infinie qu’il porte en lui la ressemblance de Dieu. Après cela, Descartes termine cette méditation en disant qu’il juge ne rien y avoir découvert, sauf une chose, l’origine de ses fautes et de ses erreurs. C’est pourquoi, il termine en déclarant avec conviction qu’il est désormais en mesure de découvrir la vérité et cela, dans la mesure où il parviendra à arrêter « suffisamment son attention sur toutes les choses [qu’il] conçoit parfaitement ». De cette manière, la démarche de Descartes trouve une grande part de son aboutissement : la vérité de son savoir est assurée.

CONCLUSION
Dès la première méditation, Descartes pose l’hypothèse du « Dieu trompeur » et cela lui permet de douter de toutes choses, c’est le doute métaphysique (dans sphère rationnelle le doute hyperbolique). D’un point de vu scolastique, à savoir dans la tradition philosophique occidentale, Dieu a créé le monde à partir de sa propre essence et les vérités qui en découlent sont immuables et éternelles. Il apparaît donc dans la pensée de Descartes, une première rupture avec la tradition de ces prédécesseurs, car pour lui, cette vision réduit la puissance de Dieu à ne pas pouvoir faire autrement. De plus, dans la deuxième méditation, c’est à partir du doute hyperbolique que Descartes va établir sa première certitude, le cogito : « Je pense, je suis », car selon lui, c’est l’acte même de douter qui lui permet d’exister. C’est donc à partir de sa propre pensée et du principe de causalité qu’il prouvera l’existence de Dieu[5], pour ensuite en établir sa véracité, celle-ci même qui garantit la validité de la connaissance. Mais le problème, c’est qu’avec lui-même comme point central de la Métaphysique, il s’en va à l’encontre de la métaphysique traditionnelle, car le point central n’est plus Dieu seul, mais l’homme avec lui[6]. Il amène donc toute une révolution philosophique.

En définitive, on peut facilement constater que la métaphysique de Descartes est inédite par rapport à son temps. Il a rompu avec une tradition philosophique plus que millénaire et sa pensée a suscité bien des controverses jusqu’à aujourd’hui. C’est pourquoi il est considéré comme le premier philosophe moderne. Dans cette perspective, il serait évidemment très intéressant, d’explorer les principales objections qui lui ont été faites au cours des derniers siècles, mais ceci est bel et bien l’objet d’un travail subséquent…

Notes

[1] Celui-ci est composé du doute radical (sphère du sensible) et du doute hyperbolique (sphère rationnelle).
[2] Cette expression est appelée le « cogito » de Descartes.
[3] Les philosophes disent aussi « réalité actuelle ».
[4]Par exemple, les modes (ex. chaleur) d’une substance étendue ne peuvent pas exister sans l’existence préalable de la substance étendue elle-même (la roche).

[5] Mais, dès qu’il passe de lui-même à Dieu, il doit se reconnaître contingent par rapport à la nécessité de Dieu.
[6] Sa métaphysique a donc un fondement bipolaire, c’est-à-dire anthropocentrique et théocentrique, contrairement à ses prédécesseurs où elle était seulement est théocentrique.